30 mai 2012

Texte critique de " Improbable rencontre " par Wonal Selbonne




Tres belle critique de mon tableau "Improbable rencontre " par Wonal SELBONNE texte à paraitre sur un prochain ouvrage de l'auteur.Merci infiniment Wonal ,ou vwè la zyé paka vwè : Fraternité des âmes qu'un même trouble fait frissonner. 


La parole est à l'auteur : 

Préambule : 

"Albert Béville alias Paul Niger : une Négritude géométrique :Nikki Élisé, « Improbable rencontre », technique mixte (toile et bois), 122 x 30, tableau tiré de l’exposition Atypique pétage de plombs, 2012. Une reproduction de cette œuvre, unique témoignage pictural sur le crash du 22 juin 1962, se trouve en 4eme de couverture du présent ouvrage."

Le texte critique:

« Le crash m’a interpellé comme si un bout de notre histoire avortait là » : c’est par ces mots que la plasticienne guadeloupéenne présente les conditions de sa projection picturale.

Le verbe « projeter » doit s’entendre selon une double dynamique : l’événement 22 juin 1962 est jeté en dehors, après avoir été filtré par l’esprit créateur, dans un processus d’objectivation ; les matériaux (couleurs, formes) sont jetés en avant, comme des projectiles sur l’espace à remplir, dans un processus de matérialisation. « Improbable rencontre » est à proprement parler un réceptacle des projectiles lancés par Nikki Élisé : les couleurs comme les formes donnent l’impression d’avoir été crashées sur le rectangle.

La verticalité de l’œuvre et la matière choisie, le bois, reflètent le lieu réel dans sa soumission à la géométrie têtue des arbres de ce bout de forêt humide. L’artiste pose, ici, par cette verticalité, une sorte d’arbre tombal : le tombeau des disparus de ce petit matin de juin 1962 : « palmeraies / vous qui montez la garde silencieuse en longs jaillissements vers le ciel ».

Par ailleurs, les couleurs dominantes, rouge-chair et gris-métal, semblent fusionner à mesure que l’œil se déplace vers le bas, c’est-à-dire en se rapprochant du point d’impact. D’où le fait que les formes grises soient plus structurées dans la partie haute du tableau et un peu plus informes dans la partie basse. Deux notes chromatiques viennent par leur opposition symbolique rompre, quelque peu, le corps-à-corps entre chair et métal : le jaune-orangé, entrevu entre les morceaux de carlingue, pour l’aube et le noir dégoulinant pour la nuit et les larmes noires (trainées de corps noirs ?) de la désespérance inextinguible puisqu’elles coulent sur tout le long du support : « L’odeur de mes tripes te fait tourner la tête, dis ? Mais tu ne peux laver tes mains de mon sang vert car j’ignore ton nom et dresse mes autels à un Dieu inconnu encore … ».

Le titre « Improbable rencontre » en antéposant l’adjectif met l’accent sur le caractère exceptionnel de l’événement et sur l’absence de vérité, compte tenu de la polysémie de l’adjectif qui peut se décliner selon le paradigme : aléatoire, douteux, problématique. En somme, Nikki Élisé ne livre pas une vérité, sachant que ni les historiens et encore moins les juges n’ont tranché l’affaire ; elle offre un doute : elle est dans la question, plus que dans la réponse. Est-ce la raison pour laquelle, elle dés-historicise le drame en ne donnant au lecteur aucun indice référentiel ? Les noms de Béville, de Catayée, la date, le lieu n’apparaissent ni dans l’œuvre ni dans les paratextes. Sans doute, la plasticienne n’a pas voulu désolidariser une chair d’une autre dans ce que le crash avait produit comme fusion, en mettant en lumière telle personnalité ; mais aussi cette dés-historicisation affirme avec force de silence l’absence de mémoire, le gommage de d’histoire et l’occultation de la vérité.

L’utilisation du singulier dans le syntagme « Improbable rencontre » renforce l’idée de vérité à chercher plus que de vérité donnée : il revient au lecteur de choisir la rencontre qui lui sied. Le pluriel imposerait une énumération exhaustive, le singulier appelle la généralisation, le choix et le mystère. Nous pouvons, tout de même, cerner les rencontres potentielles dans une série dichotomique : ciel / terre, chair / métal, nuit / jour, réel / représentation, histoire / abstrait, Guyane / Guadeloupe, continent / île, espoir / désespoir, accident / attentat, vie / mort, doute / certitude, importance de l’événement / réalité du trouble de mémoire, géographie / histoire …
L’improbable est aussi l’aléatoire, si on se tient dans la probabilité d’un accident probable. Il faudrait dans ce cas accepter l’idée que le hasard nous a un de ces tours joué, sans que nous ayons le pouvoir d’un recours historique à un nouveau lancé de dés, puisque, Mallarmé l’ayant établi dans un axiome : Un coup de dés jamais n’abolira le hasard. Le hasard faisant bien les choses, pour nous inciter à croire en sa toute puissance, nous lisons sous la plume d’Eric Aeschimann rendant compte de l’ouvrage Le Nombre et la Sirène (Fayard, 2012) de Quentin Meillassoux, le critique qui prétend avoir trouvé le code secret du poème de Mallarmé, Un coup de dés jamais n’abolira le hasard : « impossible de détailler ici l'investigation. Disons seulement que le chiffre 7, symbole théologique, s'impose vite comme suspect principal et que tout va se jouer dans la double page centrale du poème, où deux «comme si» (si étant la septième note de la gamme) entourent une méditation sur le gouffre (le «0»). D'où le tiercé gagnant de Meillassoux: «7» (Dieu), «0» (le Néant), «7» (le nouveau Dieu: l'Art). Soit «707», qui est aussi le nombre de mots que compte le poème. Un seul vers, donc, unique, métré et libre à la fois, profilé comme un fuselage d'avion.

 Soixante ans plus tard, les ingénieurs de Boeing retombèrent sur le même nombre lorsqu'ils voulurent chiffrer l'expérience moderne par excellence: la traversée géométrique d'un ciel sans Dieu . ». Ainsi donc, 707 serait pour Mallarmé le signe non de la bête, mais du Hasard, le nouveau Dieu et pour Boeing, le nombre de la certitude scientifique. Dès lors, Nikki Élisé est en droit de réunir le hasard et la science aéronautique avec son « Improbable rencontre » mettant en scène le Boeing 707, Château de Chantilly dans son sarcophage de sang et de chlorophylle. Cela dit, l’aléatoire ne doit nous faire oublier le douteux, qui, à y regarder de près, est peut-être plus improbable que le hasard, simple et maudit. Mallarmé pourquoi pas, mais aussi Conan Doyle, dans son analyse de l’improbable : « Lorsque vous avez éliminé l'impossible, ce qui reste, si improbable soit-il, est nécessairement la vérité. » ?
Frénésie interprétative qui répond à celle de Paul Niger : « ah, cette frénésie qui me suinte du ciel !».
Dans le tableau, on retrouve cette corde récurrente des œuvres de Nikki Élisé. Une corde ombilicale entre l’œuvre et la créatrice inscrivant ce travail dans la tradition du poïein grec (le mot qui a donné en français « poésie » bénéficiait d’un large champ sémantique allant de « créer » à « enfanter » en passant par « faire »). En un mot, l’artiste enfante sa création : une parturition douloureuse car la corde impose au lecteur sa pendaison. Le peintre a du mal à se séparer de ses entrailles. 
Cet élément récurrent marque aussi un rapport de sororité, il constitue le lien entre les œuvres elles-mêmes : elles sont d’abord et surtout de même mère ! On peut y voir, par ailleurs, un appel au lecteur à se saisir de la création, à l’adopter, à lui donner vie.
Plus que pour tout autre tableau, la corde est porteuse de sens multiple si on réécoute la plasticienne nous parler de ce « bout de notre histoire qui avortait là ». De plus, on peut considérer « Improbable rencontre » comme une métonymie de l’exposition Atypique pétage de plombs. Cette rencontre est tout à la fois atypique, métallique (le plomb, métal gris bleuâtre) et est source de pétage de plombs, si l’on considère le potentiel d’intelligence historique carbonisée dans le choc, et la chape de plomb qui scelle notre mémoire.
En ce matin du 22 juin 1962, à l’heure où « six fois le pipirit a fait siffler sa flèche, le malheur vole au rendez-vous ». En hommage à cette improbable rencontre avec le malheur, Nikki Élisé dresse en offrande un tombeau, modeste contribution eu égard à l’effort de mémoire qui incombe à chacun de nous. Chateaubriand ne disait-il pas qu’il « il faut de grands tombeaux aux petits hommes et de petits tombeaux aux grands ». Voilà donc un tombeau de simplicité, de doute et d’envie d’histoire : une petite tige picturale et mémorielle dans le champ « de tiges vertes et de troncs droits où l’homme porte sans faiblir la gravité des étoiles ».
Paul Niger, repose au cœur de ce sépulcre comme « un murmure d’esprit [qui] fait frissonner les feuilles [et comme] une tête dressée [qui] va provoquer la foudre ».


WONAL SELBONNE ( tous droits réservés. Publié avec l'aimable autorisation de Wonal SELBONNE Ne pas copier )

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